Technique d’égalisation profonde : Le Frenzel-Mouthfill

Voici la traduction d’un article écrit par Emil Lars, créateur de l’école d’apnée Dumagat Freedive (aux Philippines) et partenaire de l’école Omniblue Freedive (dans le Var).

LE MOUTH-FILL

Le Mouth-fill est une méthode d’égalisation qui permet d’aller plus profond au moment où la simple technique de Frenzel atteint ses limites. Lors de votre descente en apnée, le volume d’air dans votre bouche se trouve trop compressé pour permettre d’égaliser les oreilles. Au même moment, l’air qui se trouve dans les poumons est aussi compressé…Par conséquent, il devient très difficile, voir impossible, de déplacer l’air qui se trouve dans les poumons jusqu’à la bouche, puis dans la cavité nasale, ce qui permet d’égaliser.

Pour remédier au problème, vous devez déplacer une grosse bulle d’air des poumons à la bouche lorsqu’il est encore possible de le faire. La profondeur à laquelle cette manœuvre est effectuée ce situe autour des 25 mètres, juste avant que les poumons atteignent  le « volume résiduel » (le moment où il n’est plus possible d’égaliser avec Frenzel).

Même si il faut du temps pour maîtriser cette technique, le processus du Mouth-fill est en fait assez simple si vous le décomposez en plusieurs étapes.

Le Mouth-fill est une version plus avancée de Frenzel. Par conséquent, nous devons d’abord bien comprendre cette technique dans un premier temps. Certaines personnes exécutent Frenzel sans même y penser et c’est toujours une bonne idée de faire un petit rappel afin que chacun comprenne ce qui se passe réellement. Et un peu d’anatomie ne fait jamais de mal !

ANATOMIE
dumagatmouthfill
FRENZEL : EXPLICATION

Lorsque l’apnéiste réalise Frenzel, la langue comprime l’air emprisonné sous le palet. La pression force l’air à entrer dans la cavité nasale et celui-ci tente de s’échapper par le nez. Mais l’apnéiste pince le nez pour empêcher l’air de sortir par les narines. Par ailleurs, l’air ne peut pas revenir dans les poumons car la glotte (et non l’épiglotte) est fermée et il ne peut pas s’échapper par la bouche parce que la langue forme un joint étanche autour des dents supérieures. Il n’a nul par où aller, sauf dans les trompes d’Eustache et par conséquent dans l’oreille moyenne.

Frenzel se compose de 4 petites manœuvres assez simples

La première est d’avoir la glotte fermée. Où se trouve la glotte? Lorsque nous parlons et faisons vibrer les cordes vocales, la glotte est ouverte. Elle se situe dans la gorge. Afin de fermer la glotte, il suffit d’ouvrir la bouche, de dire « Haaaaaaa », puis de stopper soudainement ce son tout en gardant la bouche ouverte. Vous pouvez aussi essayer ceci : inspirez profondément par la bouche, puis, tout en gardant la bouche ouverte, maintenez l’air dans les poumons par la fermeture de la glotte. Super facile!
La deuxième manœuvre est de garder le palais mou (ou voile du palais) en position neutre. Le palais mou est une partie charnue et douce qui se situe à l’arrière du palais. Lorsqu’il est ouvert, il permet à l’air d’entrer dans les fosses nasales…Maintenant, inspirez profondément avec la bouche ouverte, puis expirez très lentement par le nez, la bouche, le nez, la bouche…etc…Durant toute l’expiration. A chaque fois que l’air change de direction, la partie que vous sentez monter et descendre est le palais mou.

Comment pouvons-nous déterminer si le voile du palais est en position neutre? C’est tout simplement lorsque vous pouvez expirer par votre nez et votre bouche en même temps. Si vous prononcez le mot «Hooommm », on peut prendre conscience de la transition entre l’expiration par la bouche puis par le nez.
Comme vous l’avez remarqué, le contrôle de la glotte et du palais mou n’est pas du tout difficile. Nous le faisons tout le temps chaque fois que nous parlons – chaque fois que nous faisons un son oral ou nasal! Ce qui est difficile est de les contrôler ensemble et de manière distincte. Lorsque vous fermez votre glotte il y a des chances que vous fermiez aussi votre palais mou. Mais nous devons avoir le palais mou en position neutre. Essayez ceci : inspirez pleinement par la bouche, puis, toujours avec la bouche ouverte, maintenez l’air dans les poumons par la fermeture de la glotte. Maintenant, essayer de jouer sur la fermeture et l’ouverture du palais mou. Rappelez-vous que la meilleure façon de positionner le palais mou en position neutre est le relâchement. En fait, plus vous êtes détendu plus vous effectuerez cette manoeuvre facilement. Dans la détente, le palais mou est en position neutre de manière naturelle.
Le 3ème élément à prendre en compte pour effectuer Frenzel correctement est d’être capable de piéger un peu d’air sous le palais en effectuant un « block » avec la langue. Il est possible d’effectuer le « T-Block ». Essayez de dire la lettre « T » sans le son. Rappelez-vous : il doit y avoir un peu d’air sous le palais. Le bout de la langue va se positionner sur l’arrière des dents supérieures.

Maintenant, vous devriez être en mesure d’effectuer la 4ème manoeuvre : déplacer la langue du bas vers le haut (tout en gardant le « block ») afin qu’elle agisse comme un piston et force l’air a entrer dans la cavité nasale

Un autre type de « block » existe. Il s’agit du « K-Block ». Essayez de dire « ka » sans émettre de son. Cette fois-ci, le bout de langue va se positionner sur l’arrière des dents inférieures et il faudra agir sur l’arrière de la langue pour effectuer le mouvement de piston. Entrainez-vous avec la bouche ouverte et avec le bout de la langue détendue. Rappelez-vous de toujours piéger assez d’air au-dessus de la langue. Lorsque vous maitriserez ces deux « block », il vous sera possible d’effectuer Frenzel avec de moins en moins d’air au-dessus de la langue…

On récapitule

Fermez la glotte, effectuez l’un des « block » avec la langue et un peu d’air au-dessus de celle-ci. Maintenant pincez le nez et réalisez le mouvement de piston du bas vers le haut avec la langue tout en ayant le palais mou en position neutre. Avez-vous l’impression que vos oreilles font « pop »? Si vous n’égalisez pas cela peut venir du mouvement de piston pas assez ample ou pas assez d’air au-dessus de la langue. Votre glotte est susceptible d’être ouverte ou votre palais mou fermé. Une autre possibilité est que vous ne faites pas une bonne étanchéité avec votre langue. L’air ne s’est pas déplacé dans la cavité nasale mais est resté à l’intérieur de la bouche ou reparti dans les poumons.
Maintenant que nous avons passé en revue les principes fondamentaux de Frenzel, nous pouvons aborder la technique du Mouthfill plus en détails…

Un peu de calcul…

Vous souvenez-vous de la loi de Boyle ? Si vous plongez depuis la surface jusqu’à 10 mètres de profondeur la pression va doubler. Nous passons de 1 bar (en surface) à 2 bars (à 10m). Maintenant, imaginez que vous commencez votre plongée à 30 mètres de profondeur, c’est-à-dire 4 bars…A quelle profondeur la pression va-t-elle doubler ? (c’est à dire passer de 4 à 8 bars). Comptons 1 bar tous les 10 mètres…5b à 40m, 6b à 50m, 7b à 60m et 8b à 70m. Il a fallu 40 mètres avant de doubler la pression ! C’est-à-dire que la variation de pression est la même entre la surface et 10m que de 30m à 70m de profondeur ! Dans les deux cas, la pression à simplement doublée.
Cela montre que plus on plonge profond, plus la variation de pression est moins importante. C’est pourquoi le Mouth-fill est si efficace lors d’une plongée profonde. Vous effectuez un Mouth-fill à environ 25 mètres et il vous permet d’égaliser jusqu’à de grandes profondeurs. Tout simplement parce que la variation de pression est beaucoup plus lente en profondeur que depuis la surface.
Vous savez maintenant qu’il devient très difficile, voir impossible, d’égaliser au-delà de 30 mètres parce que l’air dans la bouche est trop comprimé et le volume considérablement réduit. De manière parallèle, c’est parce que l’air dans les poumons est également trop comprimé qu’il est très difficile de déplacer l’air des poumons vers la bouche. Alors pourquoi ne pas remplir votre bouche avec de l’air avant d’atteindre cette « profondeur limite », située autour de 30 mètres ? Par exemple dans la zone des 20-25 mètres…Si vous effectuez un Mouth-fill de manière efficace, vous aurez la possibilité d’atteindre 50-60 mètres bien avant que le volume d’air dans votre bouche ne soit réduit de moitié. Puisque entre 30m et 70m la pression double, le volume dans la bouche entre 30m et 70m sera divisé par deux…Si vous savez effectuer un Mouth-fill sans difficulté de la surface à 10 mètres, là où la pression double et le volume dans les joues est divisé par deux, vous serez capable (en théorie) d’égaliser avec un Mouth-fill effectuer autour de 25m jusqu’à une profondeur de 60-70m ! Puisque nous avons la même variation de pression de la surface à 10m que de 30m à 70m !

LE MOUTH-FILL ETAPE PAR ETAPE

1. Avant d’atteindre le volume résiduel (autour de 25 mètres), pincez le nez (on part du principe que l’apnéiste porte un masque), levez votre menton et déplacer le plus d’air possible dans votre bouche. A présent, vos joues sont remplies d’air.
2. fermer immédiatement votre glotte afin que l’air ne retourne pas dans les poumons. Vous devez être conscient de garder la glotte fermée pendant tout le processus du Mouth-fill.
3. Repositionnez votre menton vers le bas. Cela peut aider à garder la glotte fermée et facilite la compens.
4. Tout en baissant le menton, positionnez votre palais mou en neutre et commencez à égaliser.
5. L’air dans la bouche est comprimé. Commencez par refermer les mâchoires, puis les joues. Tout doucement et en gardant la langue détendue.
6. Lorsque vous ne pouvez plus égaliser avec votre mâchoire et les joues en raison du volume d’air trop réduit, vous devez enchainer par un « T-Block », puis le « K-Block » (standard Frenzel).

En vous focalisant sur votre relâchement, le Free fall et votre égalisation, il vous sera possible d’atteindre de nouvelles profondeurs! Simple non?

Une bonne façon de pratiquer le Mouth-fill à sec est de laisser un peu d’air s’échapper de votre bouche pour simuler la pression qui augmente en profondeur et l’air qui se comprime par la même occasion. En faisant cela, vous pourrez découvrir comment égaliser avec vos mâchoires, les joues, puis comment enchainer avec la langue par la suite et de manière fluide. Une autre technique consiste à utiliser un pince-nez pas serré à fond ou les doigts (moins confortable) afin de laisser l’air s’échapper par le nez. Un peu plus réaliste concernant les sensations.

Plongée expiratoire / FRC

Une plongée sur expiration ou en FRC (Capacité Résiduelle Fonctionnelle) est une plongée réalisée alors que l’air dans les poumons est à un volume « neutre ». C’est en fait une plongée en « expiration passive ». Le volume d’air avant l’immersion est le même que lorsque vous effectuez une expiration normale sans essayer d’expirer plus d’air. Après une inspiration complète il suffit d’ouvrir la glotte et laisser l’air s’échapper tout en relâchant les épaules. Ce simple mouvement, bien exécuté, donnera une expiration passive et non forcée. Le but étant d’expirer suffisamment d’air pour travailler sur la compensation en Mouth-fill, mais pas trop, afin d’éviter une blessure aux poumons.

Alors, pourquoi pratiquons-nous l’apnée en FRC? Les plongées en « expi passive » sont un moyen très efficace pour se former à la technique du Mouth-fill. Lorsque nous effectuons une plongée en expiration nous simulons en fait la profondeur sans aller très profond. Ce type de plongée est aussi utilisé comme une technique d’échauffement efficace avant une performance en zone profonde (au-delà de 40m par exemple). Sur une expi passive, vous pourriez théoriquement plonger à 10 mètres et être en mesure de simuler une plongée à 30 mètres. Cela signifie que nous pouvons effectuer le Mouth-fill sans avoir à aller au-delà de 30 mètres à chaque fois! C’est cool ça, non ?!

Mais attention ! Les plongées en FRC vous exposent plus au risque d’ œdème pulmonaire. Sur une plongée expiratoire non seulement de grandes profondeurs sont simulées mais nous atteignons plus rapidement le volume résiduel. Soyez très prudent avec les expi passives. Coupler ce type d’entrainement avec un programme d’étirement de la cage thoracique est essentiel ! Rappelez-vous que plus souple est votre cage thoracique, moins vous risquez d’être confronté à un œdème pulmonaire. En outre, utiliser un câble sur lequel il est possible de vous tracter en immersion libre est important afin de contrôler votre descente. Bien entendu, il faut aussi revoir votre lestage, pratiquer un virage parfait au fond…etc…

En pratique

Le Mouth-fill en FRC : après avoir expiré effectuez un Mouth-fill dès la surface ou direct après l’immersion et descendre la tête en bas. Se concentrer sur l’air dans la bouche afin de ne pas le perdre et continuer à égaliser toute la descente de manière continue. Au début, n’allez pas profond (8-10m max). La répétition est la clef de l’apprentissage de cette technique.
Problèmes communs avec le Mouth-fill et comment les corriger :
1. Perdre le Mouth-fill en avalant. Cela se produit lorsque la glotte est ouverte. Pratiquer la fermeture de la glotte sur la terre ferme. Ceci est sans doute le problème le plus courant lors de l’apprentissage du Mouth-fill. J’ai eu ce problème moi-même. Presque tous les apnéistes que j’ai formé ont rencontré ce problème. Mais si j’ai pu réussir, vous le pouvez aussi! Donc, ne vous découragez pas. Surtout au début. Il faut s’entrainer et répéter le geste afin qu’il devienne automatique. Chose que j’ai effectué et que j’effectue encore lors de mes périodes d’entrainement.
2. L’air s’échappe à travers les lèvres. Nous ne voulons pas perdre de l’air. L’objectif est de prendre un maximum d’air. Mais il ne faut pas perdre de vue de garder l’étanchéité entre les lèvres. Il faut trouver la limite entre la quantité d’air maximum et la résistance des lèvres à la pression dans la bouche.
Une chose essentielle à retenir lorsque vous réalisez un Mouth-fill : C’est de le faire le plus gros possible et ne pas avaler l’air – gonfler complètement vos joues et garder la glotte fermée. Le succès et l’efficacité du Mouth-fill dépend de nombreux facteurs, mais avec une bonne technique, un bon encadrement, une bonne préparation et la répétition à l’entrainement, le Mouth-fill vous guidera vers de nouvelles profondeurs.

Mise en garde

Cet article vise à offrir aux apnéistes de tous niveaux qui s’intéressent au sujet un moyen facile et pratique pour les aider à comprendre les techniques d’égalisation Frenzel et Mouthfill. Le texte ci-dessus est offert uniquement à titre informatif et ne constitue pas un cours à part entière. Le sujet de la compensation est vaste et il existe encore de multiples manières de l’aborder…La plongée en apnée peut être dangereuse si elle est pratiquée sans connaissance et sans formation. L’apnée doit toujours être pratiquée avec un binôme du même niveau ou un moniteur d’apnée qualifié. Il existe plusieurs structures internationales dispensant des cours d’apnée adaptés au niveau de chacun : AIDA, SSI, WSF…etc…Renseignez-vous !

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Références

Equipe d’Apnée de Finlande. (2008). La technique de Frenzel. Source : http://www.freediving.fi/
Eric Fattah. (2006). Frenzel-Fattah : Guide étape par étape pour une égalisation optimale. Source : http://liquivision.com.

Et pratique personnelle de cette technique pour l’apport de certains détails…

Un merci spécial à Andrea Zuccari (spécialiste de la compensation profonde) pour son aide et pour les corrections ainsi que Linda Paganelli pour avoir participé au débat concernant la correction.

Merci à mon partenaire, Emil Lars (Dumagat Freedive) pour m’avoir donné l’autorisation de traduire cet article.

Source : Deep Equalization Technique Frenzel – Mouthfill

Auteur : Emil Lars

Traduction et détails supplémentaires : Sylvain Bes